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Rencontre avec Charlotte Campana

  • Alice
  • 27 avr.
  • 6 min de lecture

© Sarah Clavelly


Comédienne et autrice de La femme bocale, Charlotte Campana (C.C.) explore depuis plus de dix ans la scène et les voix, avec un goût certain pour l’humain et le sensible. Avec La femme bocale, elle signe un seule-en-scène aussi drôle que touchant, qui interroge les liens complexes entre la féminité, le corps et la transmission générationnelle. C’est à l'occasion de sa dernière représentation qu'Entracte Culture (E.C.) a eu l’occasion de discuter avec elle, pour comprendre comment elle a façonné cette pièce pleine de sens et d’humour.


E.C. : Quel a été ton parcours jusqu’ici ?

C.C. : Je suis comédienne depuis une douzaine d’années. J’ai commencé par tourner en sortant des Cours Florent mais c’était assez solitaire et être en collectif m’a rapidement manqué, j’ai rejoint un collectif artistique la factory afropéenne puis la compagnie Zagigaï Kollectiv, formée à Minsk, avec qui j’ai joué deux pièces : Il y en a même qui n’ont jamais rêvé, au Théâtre du Soleil, et Crime et châtiment au Théâtre de Belleville — libre adaptation du roman de Dostoïevski.


J’ai fait aussi beaucoup de voix : doublage, livres audio, documentaires, pubs… J’ai longtemps fait de l’improvisation, en commençant avec la compagnie Les Eux et en rejoignant ensuite la compagnie Again ! Production, où nous avons réalisé beaucoup de spectacles pendant cinq ans. J’y ai aussi monté un cours de théâtre que j’ai animé pendant deux ans.


E.C. : Comment est née l’écriture de La femme bocale ?

C.C. : À un moment, j’ai décidé d’arrêter l’impro pour me consacrer à l’écriture. J’ai commencé avec une conférence artistique jouée à la Maison des Métallos sous la houlette de Frederic Ferrer : Ne me cherchez plus, je suis ici. J’ai parallèlement suivi un stage d’écriture à l’école du one-man show où j’ai rencontré celle qui allait devenir ma metteuse en scène Laura Ghazal , puis j’ai poursuivi avec un cours du soir, ce qui m’a permis de créer mes premiers fragments. Le confinement a été un moment charnière : c’est là que le titre de La femme bocale a émergé.

J'ai alors commencé à imaginer un spectacle autour de ce personnage qui passerait pas mal de temps dans sa tête, à faire tourner ses pensées et à se cogner à ses doutes. 


E.C. : D’où vient cette image du bocal ?

C.C. : Le bocal est devenu une image poétique de tout ce qui nous retient, nous empêche d’avancer. C’est une métaphore de nos carcans intimes et sociaux. À travers ce personnage, je voulais évoquer le trop-plein de pensées, les remises en question, les blocages. Et très naturellement, la question du féminisme s’est greffée au projet.


Le spectacle parle à la fois d’un parcours féminin dans un monde post-MeToo — avec toutes les prises de conscience que cela a engendrées, notamment la déconstruction de tout ce que notre genre détermine — et de quelque chose de plus universel… « notre bocal », s'apparentant à une forme de condition humaine : notre rapport au doute, à nos empêchements, à la difficulté d’oser vivre pleinement…


J’ai construit le spectacle par fragments. C’est devenu un objet petit à petit.


E.C. : Elle te ressemble ?

C.C. : Un petit peu, oui [rires]. La question de la présence quand on est comédien.ne, c’ est une question qu’on se pose énormément puisqu'on travaille avec ça : qu'est-ce qui fait qu'on est présent au monde ? Comme c'est une question qui me taraudait beaucoup, j'ai décidé de la traiter dans cette conférence artistique à la maison des métallos et après j'ai trouvé ce qui allait être le liant de tous ces textes : un personnage qui s’absente…et nous propose d’embarquer avec elle ! 

Je me suis rendue compte qu'à chaque fois, dans tous les textes, il s’agissait d’un personnage qui se posait beaucoup des questions, passait du temps dans sa tête à se faire des films, à s'imaginer la vie plutôt que la vivre...



E.C. : Quels sont les thèmes de fond que tu explores ?

C.C. : Le plaisir féminin

Un élément déclencheur a été un article sur le plaisir féminin qui m’a littéralement « pété au bocal ». J’ai eu envie d’en parler de manière humoristique, car il y a dans la sexualité intime une résonance directe avec les inégalités qu’on retrouve ailleurs, notamment dans la place de la femme par rapport à l'homme, dans notre société. C’est un endroit où les injonctions sont souvent plus intériorisées.

Avec mon personnage de "Dame Clicli", je poursuis cette exploration du corps féminin, de sa méconnaissance, de tous les tabous qui l'entourent. Le clitoris, par exemple, n’a qu’une seule fonction : donner du plaisir et je ne le savais pas ! Et pourtant, on ne l’enseigne pas à l’école, comme si le plaisir féminin était accessoire, voire gênant. En montant ce spectacle, j'ai découvert qu'il y avait plein de choses de mon propre corps que je ne connaissais pas. Par exemple, quand j'ai eu un bébé on m'a parlé du périnée. Je ne savais pas vraiment ce que c'était, où c'était. Puis finalement, j'ai découvert que le corps humain, le corps de la femme, était lui-même l'objet de secrets non révélés. 


La maternité

La maternité, c’était une vraie question. Le spectacle m’a aidée à y réfléchir : est-ce que je veux un enfant ? J’ai un amoureux depuis longtemps, on voulait des enfants, mais je prends ça très au sérieux. Je ne voulais pas faire un enfant par pression sociale, par mimétisme, ou par automatisme.

Faire un enfant, c’est transmettre. Et pour transmettre, il faut avoir fait un tri dans ce qu’on porte. Il faut avoir envie de regarder un autre être humain grandir, et de l’accompagner. Moi, j’avais peur de ne pas être à la hauteur. Je voulais que ce soit une vraie décision. Dans le spectacle, j’évoque ce rêve de maternité, mais aussi cette scène où je traumatise "ma fille" avec mes propres angoisses. Et avec ça , j’exorcise la peur de « bousiller »  mon enfant [rires],  la peur de reproduire des choses qu’on a reçues, de ne pas réussir à briser certains schémas intergénérationnels…

Transmettre, ce n'est pas que faire un enfant. On peut développer un lien de transmission avec une nièce, une filleule...un élève ! La transmission prend plein de formes. Mais c’est toujours une responsabilité.


La place de la mère

J’ai beaucoup pensé à ma mère pendant le spectacle. Je l’ai perdue, et je repensais à sa vie, à son parcours, à travers le mien. Elle s’est mariée à 24 ans, a eu son premier enfant à 26. Ce n’était pas la même époque. Et moi, j’ai l’impression d’être une femme complètement différente. Et je le dis dans le spectacle : “si j’ai une fille, elle sera encore une autre femme”, dans une autre époque… une époque qui, je l’espère, la verra plus libre encore que moi…

En vieillissant, et encore plus quand on perd sa mère tôt, on apprend à la regarder autrement. Pas seulement comme une mère, mais comme une femme, un être humain à part entière. Et ça change tout. On juge moins, on comprend certains choix. 


E.C. : Et le lien entre tous ces thèmes dans le spectacle ? 

C.C. : Le spectacle est construit comme une pensée qui déraille, un peu comme dans une tête. Une pensée en chasse une autre, mais elles finissent toutes par se répondre. C’est chaotique, oui, mais c’est volontaire.


E.C. : Tu as mentionné l'importance de l'interaction avec le public dans ton spectacle. Comment cette interaction influence-t-elle ta performance ?

C.C. : Le spectacle vivant prend tout son sens dans l'instant présent. Même si c'est un solo, il y a toujours un dialogue avec le public, même s'il est silencieux. Cela crée une forme de connexion, et le spectacle peut évoluer en fonction de cette dynamique. J'apprends beaucoup à m’adapter à l'énergie de la salle. Les réactions du public font partie de l’expérience.


E.C. : As-tu eu des retours particuliers qui t'ont particulièrement touchée ?

C.C. : Oui, j’ai eu beaucoup de retours émouvants :

  • Il y a eu un homme qui m’a écrit une lettre, disant que le spectacle l'avait beaucoup touché, qu'il espérait « que je fissure nombreux bocaux pour continuer à lier nos humanités »…si c’est pas beau à lire ! [rires] 

  • Une spectatrice m’a dit que voir mon rapport au corps sur scène lui avait donné une véritable leçon de liberté. 

  • Il y a aussi eu des témoignages plus personnels, comme celui d'une femme divorcée et ayant survécu à un cancer, qui m’a dit que le spectacle lui avait fait énormément de bien et une plus jeune, qui m’a dit que la catharsis que permettait le théâtre, était beaucoup plus rapide que toutes les thérapies ! [rires]

  • Il y a un homme qui m'a dit que le spectacle était un peu difficile à entendre pour lui, mais qu'il pensait que c'était important. Il m’a même fait une remarque drôle : il a dit que la sécurité sociale devrait rembourser ce genre de spectacle. C’est une réaction qui m’a fait sourire et qui montre que le spectacle peut ouvrir des perspectives chez les hommes, même si ce n'est pas toujours facile à entendre pour eux. Ce qui est sur, c’est que la femme bocale n’a aucun désir de faire la morale ou de dire quoi penser…elle part de son endroit en espérant que ça résonne dans nombreux bocaux !


E.C. : C'est la première fois que tu présentes La femme bocale à Avignon, où pourra-t-on te retrouver ?

C.C. : Au Festival OFF d'Avignon, dans la salle "La Scala-Provence", du 5 au 27 juillet 2025.



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